« Elle n’a plus rien, tu comprends ? »
« Vous étiez tellement amis, avant. »
« Elle a besoin de ça, et toi aussi vu ce que m’a dit mamie sur ta boutique. »
« Ce n’est que 6 mois, ça passe vite. »
« Sa mère compte sur nous, Rhys. »

En l’espace de 2 jours, l’appartement avait bien changé. Prévenu à la dernière minute (puisque maman ne prenait jamais le soin de s’occuper des détails de ses plans), Rhys avait passé 2 jours entiers à ranger et refaire son appartement. Heureusement, putain, heureusement qu’il avait une deuxième pièce, parce qu’il ne savait pas où il l’aurait foutue, la gamine, sinon. Alors ouais, quand même à contre coeur, il avait dégagé le maximum de bordel de son débarras/dressing pour pouvoir improviser une seconde chambre. Il avait récupéré un vieux lit d’un de ses potes (qu’ils avaient bien galéré à monter, ça ne l’étonnerait pas si le lit se ramassait la gueule dans les 6 prochains mois), sûrement pas des plus confortables, mais il faisait bien ce qu’il pouvait, et avait défait de nombreux cartons qu’il avait descendu dans sa réserve un étage plus bas, là où ils auraient déjà dû reposer depuis bien trop de temps. La chambre improvisée n’avait rien d’idyllique, mais il ne savait pas vraiment comment l’arranger autrement. Le grand dressing n’avait pas pu être déplacé, mais Rhys avait tout de même fait l’effort de décaler toutes ses affaires d’un seul côté, pour que son invité s’approprie l’autre moitié.

Son invité.
Il souffla dans son lit, réveillé depuis qu’il avait entendu la porte claquer, écoutant sa machine à café vrombir. Rhys n’avait pas vraiment eu le choix que de la laisser crécher ici. Il avait du mal à dire merde à sa mère, bien qu’elle n’avait pas toujours été tendre avec lui, mais l’appel à sa grand-mère pour parler de la situation avait été la raison de son acceptation. S’il y avait bien quelqu’un qu’il ne voulait pas décevoir, c’était ses grand-parents.
Alors voilà qu’elle se pavanait dans son appart, Nayla.
Nayla.
Nayla qu’il n’avait pas vu depuis bien trop d’années, à qui il avait à peine parlé la veille quand elle était arrivée. Un air de gêne entre eux. Il se souvenait de leurs dernières vacances, du baiser lors de ce jeu, mais était trop imbus de sa personne pour se souvenir de pourquoi elle avait décidé d’arrêter de lui parler du jour au lendemain. Tellement de temps avait coulé depuis. Il se souvenait juste que les choses étaient tendues entre eux, et le fait qu’il ne se soit toujours pas levé de son lit pour la rejoindre lui prouvait que rien n’avait changé. On aurait pu croire que la distance et le manque de communication aurait fait mûrir leur relation, mais fallait croire que non.

Encore quelques minutes sous les draps, et il entend des mots interdits, des plaintes, venir de la cuisine. Ce fut son déclic pour enfin se lever, à Rhys. Il enfila un t-shirt, un jogging, et c’est pieds nus comme à son habitude, une légère boule au ventre de stress, qu’il se dirigea vers cette ancienne amie. S’ils n’arrivaient pas à régler leurs différents, ces 6 mois allaient être extrêmement longs pour lui comme pour elle.

Il attendit, quelques pas derrière elle, silencieux, à l’observer faire sa vie dans cet appartement, son appartement. Et le temps d’un instant, rien qu’un instant, il surprit une grande tristesse monter en lui. Il n’avait plus vraiment l’habitude de partager ses matins, ni même son espace personnel. Et la voir elle, Nayla, vieille amie et pourtant inconnue, occuper la pièce comme si elle était sienne, ne pouvait que lui rappeler l’échec de sa dernière relation.
Rhys secoua la tête, comme pour tenter de s’échapper de ses rêveries moroses et revenir à la réalité. Il devait vivre normalement. Que son ex soit là ou pas. Que Nayla soit là ou pas.

« Salut. » Répondit-il le plus simplement du monde après l’avoir surprise, elle aussi dans sa bulle. Comme si les deux tentaient chacun de s’échapper de là.
Il avança jusqu’à la cafetière, se lança une boisson après avoir attrapé un mug à la volée, et en attendant que le liquide chauffe et s’écoule, attrapa un paquet de cigarettes qui traînait dans un tiroir et l’alluma en se penchant vers la gazinière, comme il le faisait tous les matins. Sans même se soucier de si elle était fumeuse ou non, ou si ça la dérangeait.
Rhys resta un moment dos à elle, avant de finalement se résigner à lui faire face. Mais une fois bien calé sur son visage, son nez se plissa, et il se rendit compte qu’il n’avait trop rien à lui dire. Merde, ça allait vraiment être compliqué de briser la glace.

« Je n’sais pas ce que nos mères t’ont dit, mais la boutique se porte bien. » Bah bien sûr, il fallait qu’il commence en montrant à quel point il était braqué face à sa venue. Et en lui mentant, en plus. Les affaires roulaient au ralenti, prouvant son manque de motivation. Il avait déjà perdu sa copine à cause de son je m’en foutisme, et il ne retenait même pas la leçon pour le grand projet de sa vie. « Si tu as envie de te trouver un vrai taf, c’est pas moi qui vais t’en empêcher. J’le dirai pas aux vieilles. » Drôle de façon de lui souhaiter la bienvenue.

Rhys ne regrettait pas ses mots. A tort. Il aurait dû comprendre, dès qu’ils avaient quitté ses lèvres, à quel point ils pouvaient être cruels. Mais il n’y voyait aucun problème, persuadé que Nayla n’avait aucune envie d’être là, elle non plus. Il ne voyait pas pourquoi ça l’enchanterait de venir l’aider dans son business, alors même qu’elle était celle qui avait coupé les ponts avec lui. Ils ne se devaient rien, et il n’était pas sûr de pouvoir dire qu’ils étaient amis. Non, ils ne l’étaient définitivement pas. Plus. Cette fille qu’il regardait, alors qu’il tirait une taffe de sa clope, commençant à doucement enfumer la pièce, semblait différente. Elle ressemblait à Nayla, trait pour trait malgré le fait que son visage se soit affiné avec les quelques années passées, mais il ne reconnaissait pas ses yeux. Ca n’avait pourtant rien à voir avec leur couleur qu’il avait totalement oublié depuis le temps. Il n’arrivait juste pas à déchiffrer ce qu’il se cachait sous cette femme.

Puis il plissa son nez, se rendant compte que, si elle était là, c’était qu’elle en avait besoin. Sa mère l’avait briefé sur l’accident qu’elle avait subi, mais il n’avait pas été très attentif à cette histoire. Il savait qu’elle avait survécu, qu’elle allait bien, mais ça s’arrêtait là. Ce qu’il comprenait seulement maintenant, c’était qu’elle ne pouvait pas être là que par charité. Alors qu’avait-elle à y gagner ?

Rhys hocha la tête quand elle confirma ne pas être au royaume du bonheur. L’idée d’être terrés à deux dans cet appartement, sans qu’aucun n’en soit réellement plu, semblait d’autant plus déprimante. Merde, ils ne trouveraient donc rien à se dire, en 6 mois ? Il en avait bien peur, après à peine 2 minutes de froid.
« Tous les jours ? » Il fronçait ses sourcils, sa voix trahissait sa surprise. Phrase dite un peu plus dans les aiguës que le voulait sa voix normale. « Ca n’va pas être la peine, tu sais... » Quand Rhys était à la boutique, il aimait consacrer le temps sans client à continuer à apprendre à jouer de la guitare. Si Nayla était là, il n’avait pas envie de tenter l’expérience. Il était nul, butait sur énormément de notes, énormément de rythmiques. Il ne voulait pas qu’elle voit son entêtement face à sa médiocrité, ni même qu’elle utilise cette faiblesse contre lui.
Encore moins quand il remarqua cet air de malice s’installer sur son visage, alors qu’elle proposait déjà d’aller à la boutique. Dans… 30 Minutes ? Elle allait déjà instaurer ses règles ? Non, c’était hors de question qu’elle s’approprie ce qu’il s’était construit. Hors de question qu’elle fasse de son appartement le sien, hors de question qu’elle redéfinisse la boutique selon ses propres goûts. Elle n’était pas là pour ça.

Il finit sa cigarette et l’écrasa dans son cendrier, où traînaient déjà quelques cadavres. « Si tu veux vraiment partir dans 30 minutes, tu ferais mieux de te dépêcher, parce que je dois me doucher aussi. » Partager leur temps n’allait certainement pas être mince affaire. Rhys avait passé plusieurs mois totalement seul chez lui, et il aimait pouvoir prendre son temps et faire ce qu’il voulait quand il voulait. Se retrouver en collocation n’était pas dans ses plans.
Son café également fini, il vint poser la tasse sale dans l’évier, avant de se tourner de nouveau vers son invitée. « Y’a des serviettes propres dans le meuble. Sers toi. Et sache qu’ici c’est un ballon d’eau chaude, alors t’as pas intérêt à n’pas m’en laisser. » Nez plissé, il ne se préoccupa plus d’elle, se contentant d’aller dans la chambre de la belle pour récupérer des affaires, laissées dans son dressing, en attendant qu’elle lui libère la douche.